Rencontre avec un prince [PV Ambre Bellamy] [Terminé]

Tâtonnant le plancher, Ambre essayait d'attraper son sac à l'aveuglette, les yeux encore endormis. Elle avait passé la nuit dans une des auberges du haut de Caisleán, afin d'être tranquille : le bruit de la ville intérieure empêcherait n'importe qui de dormir, mais un rayon de Soleil traversant les vitres sales l'avait réveillé et elle était plutôt de mauvaise humeur.
Elle renonça à trouver son sac, ouvrit les yeux, sauta sur ses pieds et alla le chercher en marchant. Il lui fallut une bonne minute pour attacher le corset retouché qu'elle utilisait pour aplatir sa poitrine, enfiler une chemise propre, un pantalon et ses bottes. Elle jeta un coup d’œil au coffret de bois fin qu'elle avait calé au fond de la besace et le sortit délicatement. Il contenait un livre stupide de formules magiques, sans doute puissantes mais aussi terriblement arrogantes, à l'image de ses propriétaires. Il devait être important puisqu'un envoyé de l'Empire s'était déplacé jusqu'à l'archipel des Sept Gouttes d'Or pour venir le récupérer « à l'amiable ».

Se voir convoquer comme un vulgaire valet l'avait révolté, mais elle avait peu à peu accepté l'idée, se disant qu'avec un peu de chance ils feraient semblant de marchander avant de vouloir se débarrasser d'elle, car il ne faisait aucun doute dans son esprit que l'Empire ne s'encombrerait pas du Prince des Pirates alors qu'ils avaient l'occasion d'en finir.

N'ayant pas de quoi régler sa note sur elle, elle sortit par le fenêtre. Elle farfouilla dans son sac jusqu'à en sortir une pomme verte. Parfait, le petit déjeuner, enfin déjeuner, vu l'heure …
Elle se mit lentement à descendre vers la vraie ville, non pas qu'il lui importait d'être à l'heure, mais elle n'avait rien de mieux à faire avant. Une demie-heure plus tard, elle était devant la taverne indiquée. Elle sourit devant le choix du négociateur, c'était effectivement une des plus calmes de l'île. Elle vérifia d'un glissement de la main que son poignard était bien accroché le long de ses reins, l'endroit le plus discret qu'elle avait trouvé : il était totalement invisible sous sa veste. Elle poussa la porte d'un geste assuré et entra. Elle ne manqua pas d'adresser un sourire à la serveuse (elle avait compris depuis le temps que c'était grâce à ce genre de détail qu'elle n'était pas démasquée). Une fraction de secondes suffit pour repérer l'envoyé, ou plutôt l'envoyée de l'Empire. Elle dut retenir un fou rire devant l'allure de la jeune femme assise et ravala le sourire grimaçant qui s'était affiché sur son visage.

Elle avança d'un pas rapide vers la table et salua en ôtant son chapeau. Elle s'assit sans attendre et demanda d'un signe à la serveuse de ramener un verre d'alcool. Depuis le temps elle s'était habituée à cette boisson et la supportait aussi bien que les autres pirates, heureusement pour elle d'ailleurs. Son regard se posa sur le jus de fruit, mais elle ne dit rien... Mêmes certains forbans avaient des goûts bizarres en matière de boisson.

« Je suppose que vous n'êtes pas venue pour vous amuser ... »

Elle avait depuis longtemps cesser de s'en faire pour sa voix, elle était suffisamment grave pour passer pour celle d'un homme ayant une voix étonnamment féminine, mais sans donner de soupçons. Elle ne peut s’empêcher de détailler le visage de son interlocutrice, qui était, il faut e dire, assez originale. Le moindre que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'avait pas froid aux yeux ! (Elle se fit d'ailleurs la remarque que les flibustiers qui la regardaient ne devaient pas avoir froid non plus... A force de jouer aux pirates, on pensait comme les pirates.)

Ils étaient prêts à … négocier ?! Après cette vague surprise, Ambre se reprit, quelques éclairs de naïveté subsistaient encore dans ses réflexions. Après tout, quelque soient ses options, elles seraient tournées à l'avantage de l'Empire, l'enjeu était maintenant de trouver celle qui l'arrangeait le plus. Apparemment, si elle devait mourir, ce n'était pas pour tout de suite, tant qu'elle avait le livre. Elle avait pris soin de l'ôter de son étui de bois et de remplir celui-ci de quelque chose au poids équivalent. Ce genre de précaution pourrait s'avérer utile en cas de débordement de situation. Des négociations hmm ?

« Prêts à négocier ? Et qu'avez vous à me proposer qui vaille ce que vous voulez ? »

Elle ne put s'empêcher de sourire, de ce rictus ironique qu'elle ne pouvait retenir devant ses ennemis, ou simplement quand elle était d'humeur à considérer tout le monde comme désagréable. Elle voyait mal l'Empire lui offrir une lettre de marque après les légers différents qu'elle avait eu avec la Marine et même si c'était le cas, elle se serait fait un véritable plaisir de la refuser. Non décidément, tout idée d'alliance avec un quelconque pouvoir politique la répugnait, c'est pour cette raison qu'elle appréciait peu les Barahy, mais au moins c'était pratique de les compter parmi ses relations. Elle reprit, d'un ton glacial :

« Ne tentez pas de m'acheter par l'amnistie, je ne suis on ne peut plus fier de mes crimes... »

Ça posait le ton de la conversation. Ambre ne se voulait pas hostile, quelque chose lui disait même qu'elle pourrait s'amuser, mais il y avait certaines choses qu'il ne fallait pas tenter. La mépriser ostensiblement en faisait partie et l'amnistier c'était la mépriser.
Elle attrapa le verre que la serveuse lui tendait et le posa devant elle. Puis, après quelques secondes passées à le fixer, elle l'attrapa et le porta à ses lèvres. C'était loin d'être le meilleur rhum qu'elle avait bu mais elle était parvenue à en reconnaître le goût, ce n'était donc pas le pire non plus.
Elle se pencha, disparaissant à moitié sous la table, afin de sortir le coffret de son sac. Elle en profita pour tenter de voir si son interlocutrice au nom toujours inconnu était armée de manière évidente. Elle lâcha le coffre de bois sur la table, faisant résonner celle-ci dans toute la pièce. Certains regards se tournèrent vers eux, intrigués, puis chacun reprit sa tâche.

« La question est donc : qu'avez vous à me donner en échange de ceci... Car je n'ai aucune raison de vous le rendre sans compensation.»

Son esprit s'était mis à fonctionner à tout allure, réfléchissant à ce qu'il pouvait demander si on lui retournait la question. Elle se moquait pas mal de ce livre, elle l'aurait volontiers détruit, lui et son héritage idiot de magie civilisée. Elle commençait à prendre conscience de sa haine pour ce type de magie depuis son pacte avec l'Océan, bref depuis qu'elle était passe dans l'autre camp de manière officielle. Elle n'avait même pas songé à tirer parti du livre en l'obtenant. En fait elle ignorait ce que contenait le coffret d'acajou quand elle l'avait dérobé. Que possédait l'Empire qu'elle convoitait ? Elle afficha une dernière fois son sourire, regardant la négociatrice droit dans les yeux.

« Vous remarquerez que je suis ouvert à la discussion, ce qui n'aurait pas été le cas d'autres à ma place... »

Une trêve ? Ce n'était pas idiot mais pas du tout du goût d'Ambre. Faire la paix c'était la facilité et puis l'ennui, rien de bien réjouissant, sans compter que passer un tel accord ne rentrait pas vraiment dans les vagues notions de son code de l'honneur.

« Tant pis, pas de paix alors. Quant à la gloire, elle ne m'intéresse pas. »

C'était à moitié un mensonge, la gloire pour la gloire ne l'intéressait pas, mais elle était très contente de s'être fait un nom et d'avoir fait parlé d'elle, mais ça, elle ne l'aurait jamais dit volontairement. Elle émit un petit sifflement faussement admiratif à l'annonce du nom de son interlocutrice. Une fille Adhbreith ? Rien que ça !?

« Je pense que Prince ira très bien, Votre Altesse (elle appuya volontairement sur ces deux derniers mots). On ne s'entendra que mieux... »

Si elle avait remarqué le manège du pirate, elle n'en montra aucun signe et continua de faire comme si de rien était. Elle savait très bien comment ils se comportaient avec la gente féminine depuis qu'elle avait vécu ouvertement en femme sur un navire. Cependant elle ne donnait pas cher de l'avenir de celui-ci s'il tentait quelque chose et elle se reconcentra sur la question principale, affichant tout de même un sourire en coin à la vue de la mine dégoûtée de Metis Adhbreith.
Elle n'avait pas relevé la première proposition, pourtant relativement insultante en soit, mais celle qu'on venait de lui donner était dégradante, mais néanmoins compréhensible. Elle eut un léger rire méprisant.

« Je me moque de l'argent j'ai tout ce qu'il me faut... »

Enfin, elle pouvait avoir tout ce qu'il lui fallait si elle voulait, mais c'était un détail inutile.
Soudain, le forban ivre les rejoint, présentant des avances quelque peu hasardeuses à Son Altesse de l'Empire. Ambre observa la scène d'un œil amusé, puis brusquement plus intéressé quand elle comprit que c'était l'occasion rêvée de se débarrasser de cette garde menaçante. Elle avait relevé la féminité de celle-ci et elle se demanda si c'était une décision personnelle ou de l'Empire.
Ce fut bientôt la pagaille dans la taverne. Elle sourit. Enfin un peu de vie ! Ce n'était hélas pas le moment de profiter, ni de participer au spectacle.

Ambre se leva et s'étira en plaçant ses deux mains sur sa taille et en faisant craquer son dos. Elle regarda son verre à moitié plein d'un air dépité, haussa les épaule et termina son contenu d'un coup. Autant ne pas gâcher le rhum... Les tables étaient invisibles, recouvertes par des corps entremêlés occupés à taper, mordre et griffer tout ce qui dépassait. Elle se fraya souplement un passage entre les hommes et se retrouva juste derrière Metis qui n'avait plus l'air si à son aise qu'auparavant, à moins que ce ne soit qu'une impression. Le moment de jouer avec ses propres règles était venu.
Silencieusement, elle se pencha au dessus de l'épaule de celle-ci. Elle faisait un peu près la même taille qu'elle avec ses bottes à talons.

« Je crois qu'on ferait mieux de sortir d'ici ... »

Sans lui laisser le temps de répondre, elle la tira par le bras vers l'extérieur, toujours entourée des ruffians se battant. Elle atteinte enfin la porte, qu'elle referma d'un coup sec après le passage de Son Altesse.

C'était la fin d'après-midi, l'heure à laquelle le jour diminuait : dans moins de deux heures il commencerait à faire sombre dans ce quartier, situé en contrebas de la ville. Sans lui lâcher le bras, elle entraîna Metis vers d'autres rues, plus étroites et moins accueillantes, de quoi inquiéter n'importe qui du beau monde.

« Ici on pourra parler … Plus tranquillement.. »

Metis ne semblait plus tout apprécier la situation, qui commençait pourtant à prendre un tournant amusant. C'était assez mesquin de la part d'Ambre de la faire mariner ainsi et elle pouvait facilement imaginer les pensées cauchemardesques de sa camarade, mais cela n'était qu'un petit jeu, et si elle avait trop d'imagination, c'était son problème. Elle commençait peu à peu à cerner ce qu'elle comptait demander, malheureusement elle était sure de ne pas l'obtenir. Quoiqu'il en soit, elle n'aurait pas craché sur un navire... Et pas n'importe lequel. Le Vengeur aurait parfaitement fait l'affaire. Elle avait tenté de le détruire, sans succès et il était réputé partout comme le meilleur vaisseau de la Marine, sur la question de la vitesse et de la puissance. C'était beau de rêver, mais ce n'était pas le moment. Elle revint péniblement à la réalité au moment où Metis se dégageait vivement.

« Tss, je vais pas vous manger... »

C'était peut être pas ce que l'ex-negociatrice voulait entendre mais c'était ce qui était venu en premier. En tous cas, elle ne la croyait visiblement pas puisqu'elle semblait avoir posé la main sur une arme. Vu l'endroit où celle-ci était dissimulée, la lame était plutôt courte, ce qui signifiait qu'Ambre était hors de danger pour le moment. Par réflexe, elle avança d'un pas en la voyant reculer, comme si la distance allait couper le fil de la communication qu'elle tentait vaguement d'instaurer. Mauvaise idée, Metis venait de sortir son arme. Elle voulait retrouver ses gardes ?!

« Aucune idée d'où les trouver désormais … Désolé. »

Un nouveau sourire narquois.

« Vous n'avez pas peur de vous faire mal avec ça ? »

Elle tenait son bras gauche dans son dos, prêt à attraper sa propre lame si le besoin s'en faisait sentir. Avant même que l'une des deux ait pu prendre la parole une rumeur de voix se fit entendre au coin de la rue. Un groupe d'hommes -éméchés évidemment- venait d'entrer dans la ruelle. Elle n'y prêta aucune attention et se retourna aussitôt vers Son Altesse, quand l'un d'eux l'interpella.

« Eh les gars ? C'est-y pas le « Prince » là bas ? »

Le surnom avait été dit avec tant de raillerie qu'elle grinça des dents et fronça les sourcils.

« Eh Bellamy ! Tu sais que tu nous dois toujours les trois rubis que tu nous as ''empruntés'' la dernière fois !? »

Cette fois son regard devint noir. Avaient-ils idée de l'appeler par ce nom ! Ce n'était pas gênant en soi mais elle aurait aimé éviter que Metis l'apprenne. Trop tard. Et le problème devenait plus urgent. Ils se faisaient menaçants et commençaient à s'approcher un peu trop près. L'un d'eux fit une remarque sur sa « compagnie », mais elle n'écoutait plus.

« Sincèrement navré mais là, il va falloir que vous suiviez si vous ne voulez pas que je vous attrape une nouvelle fois par le bras... Courrez vers la gauche ! »

Elle avait chuchoté la dernière phrase et s'était mis elle-même en mouvement une fraction de seconde après l'avoir prononcé. Elle bifurqua rapidement à gauche à l'embranchement, vérifiant d'un œil que la princesse la suivait : plus de princesse, plus même de négociations.

Ambre n'aimait absolument pas la tournure que les événements avaient pris. Non seulement elle se retrouvait coincée avec une noble qui avait l'air de découvrir le monde, mais en plus de cela elle n'était plus du tout en position de force. Ah la belle affaire ! Le grimoire venait de démontrer son inutilité ; si la magie civilisée ne servait pas à se tirer de mauvaises situations ou à s'ancrer dans de meilleures, quelle pouvait être son utilité ?
Courant toujours sans réfléchir, elle retint un sursaut de surprise quand Metis la fit s'engouffrer à l'intérieur d'une boutique. Quelle idiote ! Il n'y avait plus d'issues ! Cependant sa camarade ne semblait pas avoir perdu toute sa présence d'esprit puisqu'elle les poussa à temps derrière de lourds rideaux, destinés à cacher ceux qui souhaitaient essayer des vêtements. Dans les boutiques comme celle-ci, les habits étaient en effet tous d'occasion, et il n'était pas question de penser à des parures faites sur mesure.

La solution était provisoire et il faudrait attendre encore longtemps avant que la bande d'indiscrets dégénérés ne change de coin. Ils faisaient partie de la pire espèce, ils n'avaient pas de navires, et ne servaient sous les ordres d'aucun capitaine, autant le dire franchement : en tant que moutons dénués de volonté ils étaient perdus sans guide. Ils ne savaient pas quoi faire et cette inactivité les rendait agressifs, comme si la bagarre était devenue leur seule distraction. Oubliant la morale, l'honneur et les remords, ils n'hésitaient pas à tuer pour des broutilles et certains se faisaient mercenaires pour ne pas finir par mourir saouls devant une taverne insalubre. Oh non ! Ils ne risquaient pas d'abandonner.... Pff, et ce n'était même pas des bons rubis, elle en avait tiré un prix médiocre. Elle ne savait ce qui lui avait prit en les dérobant, peut être était-ce l'ennui qui avait aussi commencé à prendre le dessus sur elle, ou alors la méchanceté, car ces hommes n'avaient rien, et les voler c'était les tuer à petit feu.

La boutique était très petite et les vêtements étaient entassés en pile sur les côtés. Certains avaient été accrochés au milieu ''pour bien présenter'', sans doute les plus beaux et les plus coûteux. Elle jeta un coup d’œil amusé aux habits choisis par Metis, même avec ça elle ne risquait pas de ressembler à un homme, mais c'était mieux que rien.

« Joli chapeau ... »

Elle regarda rapidement ce qu'elle portait. Sa chemise à jabot et sa veste bleue n'étaient pas des plus discrètes, elle pouvait en revanche garder son pantalon et ses bottes sans problèmes. Elle se contenta de choisir une chemise noire toute simple. Pour ce qui était de payer, ce n'était pas un problème, dans ce genre d'endroit on pouvait troquer et la chemise qu'elle possédait valait bien plus qu'un bout de tissu. Elle ne fit pas part de ce détail à Metis qui était déjà en train de se changer.
Fermant le rideau du mieux qu'elle put, elle défie sa veste et sa chemise, tentant de défroisser celle qu'elle comptait enfiler, vérifiant systématiquement que la cloison de tissu restait à sa place. Elle ne tenait pas à ce que d'autres personnes apprennent son petit secret ...

Allons bon ! Ce maudit bout de tissu s'était coincé dans l'attache de sa parodie de corset. Elle secoua d'abord lentement pour l'en séparer puis finit par tirer dessus comme une brute jusqu'à ce que le fil lâche, détachant le corset du même coup. Excédée, elle se mit à se contorsionner pour le rattacher, comme si elle avait un lézard dans sa chemise, excepté bien sûr qu'elle n'avait pas de chemise. Ayant enfin saisi le cordon, elle le serra du mieux qu'elle put et refit un nœud. Elle se pencha pour ramasser le vêtement qu'elle avait laissé tomber quand elle effleura le rideau.
Avant même d'avoir eu le temps de comprendre ce qui arrivait, celui-ci s'écroula comme un pauvre château de sable, ôtant la seule barrière visuelle entre elle et Metis. Elle resta de trois-quarts quelques secondes avant de s'en apercevoir, puis, hoquetant de surprise, elle fit un pas en avant pour le remettre en place, mais trop tard.

Grimaçant de rage, elle enfila sa chemise sans jeter un seul regard à sa camarade. Ce moment viendrait bien assez vite. Elle eut l'impression qu'il lui fallut une éternité pour terminer de mettre correctement son habit. Le résultat était le même que d'habitude, et n'importe qui ignorant la vérité l'aurait prise pour un homme mais elle vérifia plusieurs fois afin d'en être certaine. Elle eut un sifflement de colère, contre elle-même, le rideau et contre cette fichue héritière aux airs supérieurs qui ne manquerait pas de profiter de la situation.
Elle posa les yeux sur elle, les siens devaient lancer des éclairs mais elle ne faisait rien pour les retenir, au contraire si Metis pouvait sentir sa fureur c'était parfait. L'envie de lui faire avaler son sourire l'obsédait.

« Cela ne change strictement rien à la donne...» siffla-t-elle.

Sortant à grands pas de la cabine, elle examina rapidement les chapeaux. Ses cheveux blancs étaient trop voyants, il fallait les cacher. Elle opta pour un tricorne de base dans lequel elle enroula ses cheveux en une sorte de chignon. Ainsi, ils paraissaient beaucoup plus courts. Elle soupira et se retourna, un peu calmée.

« Je suppose qu'on va devoir changer les termes de l'arrangement ... »

Rien ne lui garantissait qu'elle tiendrait sa langue, elle n'avait d'ailleurs aucune raison de le faire. Metis ne devait rien à une pirate, encore moins à une ennemie de l'Empire. Ambre ne pouvait lui faire confiance et c'était sa seule solution, à moins de se résoudre à la tuer … Oui après tout cela serait tout à son avantage, elle garderait le livre et son secret... Un léger sourire éclaira de nouveau son visage. Avant que Metis ait eu le temps de réagir elle posa la main sur la crosse de son pistolet. Il lui faudrait quelques secondes pour l'armer et tirer, n'importe qui de sensé le savait. Elle pouvait toujours lui laisser une chance et quelques instants de plus ...

« En admettant que je vous rende le livre contre votre parole de vous taire, quelle garantie puis-je avoir ? »

La pensée de la mort ne semblait pas avoir inquiété Metis un instant et plus Ambre y réfléchissait plus elle se disait que ce n'était pas une excellente idée. Elle avait déjà tué quelqu'un de sang froid, même plusieurs personnes, mais ses victimes l'avaient toujours mérité. Méritait-on de mourir pour le silence ? Elle ne parvenait pas à se résoudre à la croire, et ce n'était certainement pas en rappelant son ascendance impériale qu'elle allait lui donner confiance, même si cette phrase était plutôt destinée à leur public muet, tâchant de ne pas relever la tête en pliant vaguement quelques vêtements un peu plus froissés que les autres.
Ambre hésitait, et cela devait se voir, c'est d'ailleurs cette réflexion qui la fit prendre une décision rapidement. Presqu'à regret, elle éloigna lentement la main de son pistolet. N'abandonnant pas son regard noir elle répondit :

« Si je crois votre parole, et que vous la trahissez, je jure que même dans votre palais vous ne serez pas à l'abri de ma haine ... »

Elle le pensait sincèrement. Elle aurait été capable de faire n'importe quoi par vengeance, cela avait été plus ou moins prouvé par le passé, bien qu'elle seule s'en soit rendue compte … Elle regarda furtivement dehors. Les pirates étaient hors de vue, ce qui ne signifiait pas qu'elles ne risquaient pas de les croiser. Elle ramassa son sac qui était resté à terre dans la cabine de fortune et en sortit le coffre, puis après quelques secondes de plus, le livre. Après un dernier regard passif sur sa couverture, elle tendit les deux à Metis, l'air sec.

« Je ne parviens pas à comprendre la si grande importance de ce grimoire mais ce ne sont pas mes affaires... »

Elle allait tourner les talons et avait déjà ouvert la porte quand elle se retourna.

« Venez, je suppose que ça ne vous arrange pas de rester toute seule ici … Impossible de retrouver son chemin dans ces rues quand on ne les connaît pas … Puisqu'on a un marché, autant que je vous ramène... »

Elle ne parvenait pas à s'expliquer ce changement d'attitude. Elle se sentait vidée et calme, comme si les événements glissaient sur elle sans l'atteindre et qu'elle les regardait de loin. Tout cela ce n'était plus son affaire et elle ne voyait plus pourquoi elle aurait dû détester Metis. Même en admettant que ce soit une fille gâtée imbue d'elle-même, elle s'en moquait, c'était son problème à elle si elle se retrouvait toute seule un jour (ce qui n'arriverait probablement pas parce qu'ils devaient tous être comme cela dans la famille...).
Un léger doute la prit. La grimoire était-il la seule négociation pour qu'elle garde son secret ? Elle ne posa évidemment pas la question pour ne pas donner de mauvaises idées à la princesse. Il suffirait d'attendre la suite des événements.
La nuit tombait enfin, camouflant les ombres et rendant la ville encore plus labyrinthique. Ambre sourit, c'était l'heure qu'elle préférait. Elle aurait volontiers fait un tour dans la ville qui s'éveillait, mais il fallait qu'elle ramène Metis quelque part … Elle soupira. Quoiqu'il en soit, il était hors de question de la ramener près d'autres de ses gardes, elle devrait finir le chemin toute seule. Charitable peut être, mais pas trop non plus ...

Ambre n'avait pas prononcé un mot depuis qu'elles avaient quitté la boutique. Elle se contentait de marcher silencieusement, presque par réflexe, dans les rues désormais familières. Elle était venue à l'archipel pour la première fois à l'âge de 17 ans, et avait été un peu choquée à l'époque. Elle n'était pas habituée à la vermine et la saleté, et sans sa couverture, elle n'aurait pas été loin de réagir comme Metis. Elle avait dû y revenir plusieurs fois par la suite, pour se ravitailler, en nourriture ou en matelots et elle connaissait désormais les rues par cœur et pouvait s'y retrouver les yeux fermés. Malgré sa réputation, l'archipel des Sept Gouttes d'Or n'était pas réellement son quartier général, bien que ce soit celui de la piraterie. Elle préférait de loin Achaladh, plus mystérieux et moins ouvert aux forbans, l'aventure l'y attendait à chaque coin de rue. Cependant la vie n'y était pas facile et il lui fallait des pauses régulières loin des troubles et de la Marine. Celle-ci était devenue une sorte d'ennemi officiel ces derniers temps, auquel, d'après elle, elle devait tous ses malheurs.

Refoulant ces pensées qui commençaient à être désagréables, elle reprit conscience du paysage environnant pour s'y repérer. Elle sentait que Metis n'était toujours pas rassurée, et cela l'amusait beaucoup, même si elle n'en laissait rien paraître. Elles se rapprochaient de plus en plus de la taverne où elles s'étaient rencontré quand un attroupement attira leur attention. Les bruits qu'on entendait étaient clairs : c'était un combat. Tandis que Metis s'approchait pour mieux y voir, Ambre resta un moment dans la foule à tenter de se frayer un passage...

Oh oh … Trop de hasard pour une même journée, voilà que tous ses amis se battaient ensemble joyeusement ! C'était trop beau pour être vrai... Souriant gaiement, elle retrouva sa bonne humeur et l'assurance qui allait avec. Metis prit la parole. Ce fut son plus long discours devant Ambre et son plus « amical »...

« Eh bien si un jour je suis ivre ou désespéré au point de vouloir vous faire des cadeaux j'y penserai.. »

Si la phrase n'était pas très sympathique en soi, le ton était léger et Ambre ne se voulait pas agressive du tout. Elle espérait que Metis ne le prendrait pas mal .. Enfin « espérait... » est un grand mot ...

« Au revoir... Sait-on jamais... si vous égariez un autre livre ... »

Elle sourit puis fit volte face et se fondit dans la foule en un clin d’œil. Les derniers rayons du soleil disparaissaient. Elle n'était pas spécialement satisfaite, mais n'était pas non plus amère, tout au plus un peu inquiète quand elle pensait à ce que Metis avait appris, mais il fallait qu'elle commence à se faire l'idée que certaines personnes connaissaient ce léger détail, qu'elle l'ait voulu, ou non.
Elle sortit de sa poche deux bourses remplie qu'elle fit tinter, souvenir des curieux regardant la bagarre. Ce serait largement suffisant pour lui permettre de retrouver une chemise digne de ce nom, ainsi qu'une veste...